Le succès, comme bien chose, est une question d’équilibre, de finesse. L’histoire du succès de Devinci en est une où pointent de fières racines canadiennes, un riche patrimoine de course, et un départ tumultueux qui les a rudement mis à l’épreuve avant même la véritable lancée. Félix Gauthier est l’homme qui a su diriger Devinci à travers les écueils pour le porter vers des horizons plus florissants, et ce depuis plus de 25 ans… L’histoire est toujours meilleure quand elle est racontée par celui qui l’a façonnée.
Tout a commencé par une chute à vélo, un gros accident en 1988. J’ai dû avoir des points de suture au visage et je me suis cassé la jambe. Pendant ma convalescence, je me disais qu’il me fallait un nouveau en cadre en alu. Un ami m’a informé qu’une personne fabriquait des vélos en aluminium au Saguenay et que je devrais aller le rencontrer. C’est exactement ce que j’ai fait et je lui en ai acheté un. Deux ans plus tard, j’ai reçu un petit héritage à la mort de mes parents. Le concepteur du cadre est venu me demander d’être son partenaire. Je ne savais pas trop dans quoi je m’embarquais. Il n’avait ni employés ni clients, et plusieurs de ses cadres attendaient d’être réparés, parce qu’ils étaient sous la garantie. Je me suis demandé qu’est-ce qu’on pourrait faire… J’ai téléphoné à Alcan (aujourd’hui Rio Tinto), le principal producteur d’aluminium en Amérique du Nord, qui est basé ici même au Saguenay. Comme l’entreprise a un centre de recherche, ils m’ont expliqué la nature du problème. La faille était dans le traitement thermique : une suite de réchauffements et de refroidissements contrôlés du métal. Notre four n’était pas adapté, alors nous avons commencé à en chercher un nouveau. C’était tellement cher ! Bien plus que mon investissement de départ dans l’entreprise. Nous avons donc décidé d’en fabriquer un nous-mêmes. Bref, c’est comme ça que nous avons réussi à stabiliser le processus de fabrication. Il nous fallait encore réparer les anciens cadres. Nos problèmes réglés, nous avons remplacé chacun d’eux. Ce fut le début de notre garantie à vie, et c’est la base de nos investissements continus en R et D.
En effet. Plusieurs d’entre eux sont ici depuis le premier jour. Nos employés sont ultra passionnés. Ils roulent le midi, font des voyages de vélo et se font des sentiers dans notre cour. L’entreprise a une fibre familiale. On travaille tous sous un même toit, et la plupart habitent en ville. On pédale souvent ensemble, ce qui tisse des liens.
On peut sembler « perdus » à l’Est du Canada, mais ce n’est vraiment pas le cas. Le monde se fait de plus en plus petit grâce au transport aérien et aux nouvelles technologies de communication. Il va sans dire que le centre de notre univers, c’est le Saguenay. On y trouve tout ce qu’il faut en un seul et même endroit, qu’il s’agisse de la R et D, des essais ou de réaliser les produits les plus novateurs. Qu’Alcan soit dans notre cour arrière est un plus, il va sans dire. C’est un avantage en matière de production d’aluminium qui nous sert sur le marché nord-américain.
Ça a été extrêmement profitable. C’est d’ailleurs l’une des raisons principales de notre choix. D’être au Saguenay nous donne accès au Centre des technologies de l’aluminium du Canada, et à du personnel hautement qualifié. Nous faisons tous nos essais à l’interne, et tous les prototypes, dont les cadres en carbone, sont d’abord réalisés avec de l’alu. Ainsi, nous pouvons créer rapidement et efficacement un nouveau vélo tout en répondant à des normes rigoureuses.
Les difficultés, ça fait partie du quotidien. Et la réussite en affaires repose en bonne partie sur la capacité à les traiter. L’un des plus grands freins que nous avons eu, c’est de jongler avec notre croissance. Nos objectifs de qualité sont extrêmement élevés, il ne faut donc jamais perdre de vue notre raison d’être première : produire les meilleurs vélos de leur catégorie, qui sont source d’inspiration pour les cyclistes.
J’ai fait un peu de tout. J’ai obtenu un certificat en administration à l’université. Avec mon frère, on a même fait dans l’immobilier. Mais j’ai toujours eu en moi la volonté de créer. Et j’ai toujours eu une passion pour la machinerie, soit de trouver un problème et le bon équipement pour le résoudre.
Tout à fait. C’est d’ailleurs comme ça que tout a commencé. Au fil de notre évolution, nous avons appris à limiter le volet erreur. Nous y sommes arrivés grâce à notre matière grise et à l’excellence de nos employés, et par des partenariats avec des universités et Alcan pour améliorer le processus. C’est comme ça qu’on a pu créer des prototypes correctement et faire l’essai de produits avec une marge d’erreur plus mince, parce que nous maîtrisons bien notre truc. Fonctionner par essais et erreurs, ça allait bien dans les années 90. De nos jours, la concurrence est telle qu’on n’a pas trop le droit à l’erreur.
C’était graduel, jusqu’à l’explosion en 2011, soit au lancement de notre équipe de descente et à l’essor du Split Pivot. C’était une époque charnière où nous avons ouvert de nouvelles voies. C’était vraiment excitant! D’être aux premières loges pour voir des gars comme Stevie Smith dominer le monde de la descente. C’était super pour Devinci, mais aussi pour le monde du vélo de montagne au Canada.
En 2007, nous avons participé à un concours pour créer un vélo de ville. Nous avons misé sur notre savoir-faire en montagne pour produire une bécane durable et fiable. Nous avons remporté le contrat pour Montréal, soit 5000 unités. Et après, tout a déboulé.... Londres, Boston et Minneapolis. On est maintenant dans 30 villes partout dans le monde. De Barcelone à Honolulu, nous avons environ 65 000 vélos en circulation. Il n’y a eu aucun retour de garantie, pas un seul. Les premiers vélos livrés à Montréal roulent encore! Londres nous avait demandé une garantie de sept ans. Avec notre banc d’essai, on a simulé 14 ans de conditions difficiles sur les prototypes avant de remarquer des signes d’usure. Nous avons vraiment pleine confiance dans la qualité de notre produit.
En fait, on ne peut jamais s’asseoir sur ses lauriers. On est en bonne position parce que notre équipe est super avant-gardiste. Et par équipe, je pense autant aux employés à l’interne que les athlètes et ambassadeurs partout dans le monde. Ces gens compétitionnent et roulent chaque jour. Ils sont au fait des dernières tendances, et les commentaires qu’ils nous livrent nous garde dans le peloton, et même au-devant.
Il y a eu bien des tendances. Les plateformes et certains segments, comme le diamètre des roues, peuvent changer dans le temps de le dire. Pour l’évolution du marché, on y voit bien du positif. Le vélo de montagne s’est énormément démocratisé. On peut rouler n’importe où, que ce soit dans des parcs ou des sentiers tout près. En plus, on voit de plus en plus de femmes dans le sport, ce qui est excellent. Et on ne peut que se réjouir de la popularité grandissante des guerriers du dimanche.
C’est une remarque intéressante. J’y vois deux volets : la demande générale pour les vélos de montagne, les sentiers et le type d’utilisation ont connu un tel essor que cela a divisé notre porte-folio. Il semble qu’il y a maintenant un produit pour chaque type de cycliste. Cela dit, ils sont à ce point performants qu’ils éclipsent peut-être les ventes en descente. On peut acheter un enduro ou un all-mountain comme le Troy et s’en servir dans les sentiers de DH. En fait, ils vont parfois mieux que des bécanes de descente d’il y a 6 ou 7 ans, entre autres en raison de la géométrie et de la suspension. Donc pour répondre à ta question, je pense qu’en effet, l’écart est moindre entre les vélos, mais qu’ils ont tous leurs avantages individuels. À mon avis, c’est super que les consommateurs aient une variété d’options qui répondent à leurs besoins.
Ça dépend. Certains vélos conviennent mieux aux sentiers de la côte Ouest; d’autres à l’Est. Et c’est sans compter l’Europe. Nos ventes varient en fonction du territoire.
Oui, la course nous aide à mieux concevoir les produits. Ça s’intègre super bien au processus de R et D. Nous entretenons des liens étroits avec nos athlètes professionnels, nous prenons leur avis au sérieux, puisqu’ils nous aident à peaufiner nos produits pour les utilisateurs finaux. Les coureurs sont impliqués de très près dans le développement. Côté marketing, leurs performances déteignent sur le vélo.
Je ne participe à aucune course, mais j’adore ça. J’ai suivi tous nos athlètes cette saison, et la Coupe du Monde au Mont-Sainte-Anne est toujours un moment fort. Cette année, j’ai même passé du temps avec la famille de Dakotah et le personnel. J’ai eu un fun noir. Et aujourd’hui encore, j’ai la chair de poule en pensant à la victoire de Stevie au Mont-Sainte-Anne en 2013. Quelle journée incroyable!
C’est sûr que c’est très utile. Nos athlètes passent tellement de temps en vélo! En plus, comme une course d’EWS dure une semaine, ça génère plusieurs jours d’observation dans toutes sortes de condition. Au bout du compte, on a une machine plus performante et plus fiable, prête à gagner des courses.
Non, pas complètement en tout cas. Au risque de me répéter, ça revient à la valeur que nous accordons à notre R et D à l’interne et à nos prototypes en aluminium. C’est ce que nous utilisons au quotidien pour garantir une qualité irréprochable. Nos cadres en carbone sont fabriqués en Asie, mais nous nous assurons d’avoir les meilleurs partenaires qui soient. Ils n’ont pas l’étiquette « Fait au Canada », mais leurs performances hors pair témoignent de notre héritage canadien.
À la mort de Stevie, on a perdu bien plus qu’une grande vedette, on a perdu un membre de la famille. On a dû se retirer de la compétition DH pour faire notre deuil. C’était un héros pour nous tous et il demeure, à ce jour, une inspiration.
C’était pour Stevie. C’était notre meilleur coureur. Il nous fallait un peu de recul pour réévaluer l’avenir.
Super bien. Nous avons une meilleure présence et un réseau plus étendu en Europe, comme Unior y est établi. Ils ont une super structure et c’est formidable de travailler avec eux. En plus, nous avons tous le même objectif.
Nous concentrons nos efforts principalement au Canada, aux États-Unis et en Europe. Nous avons aussi des distributeurs secondaires partout dans le monde.
Aucun intérêt. Mieux vaut collaborer avec nos détaillants passionnés. Perso, si je veux acheter un vélo, je préfère aller dans une boutique.
À d’autres vélos de qualité! Nous souhaitons aussi être une source d’inspiration… Quand nous sommes emballés par quelque chose, ça déboule vite, parce que nous avons les outils oui, mais aussi des employés compétents et passionnés pour arriver à le créer.